Publié le jeudi 13 octobre 2016 à 11h09

Vous êtes musicien et vous souffrez du trac ? Pour l’affronter, il faut déjà le comprendre et l’apprivoiser. Explications par Marie-Christine Mathieu, kinésithérapeute, Virginie Aster, pédagogue et Joseph Descamps, psychologue.

Caspar Benson/gettyimages

Vous êtes musicien et les auditions publiques sont votre plus grand cauchemar. La nuit d’avant, vous ne dormez pas. Alors que vous êtes sur le point de monter sur scène, vos mains deviennent moites, vos doigts sont froids, vous vous sentez pris de panique et votre cœur bat la chamade. Votre bouche est sèche, et la seule chose à laquelle vous pouvez penser est le bourdonnement de votre sang dans les tempes. Pourtant, vous y allez, mais une fois devant le public, les choses ne s’arrangent pas pour autant. Le temps s’accélère, vous avez l’impression de ne plus rien maîtriser, ni vos mains, ni votre tête, vous pédalez dans le brouillard avec une seule pensée claire : pourvu que ça se termine au plus vite !

Vous avez le trac. Mais contrairement à ce que vous pouvez penser, le trac n’est pas un phénomène rare. Autrefois tabou, on en parle de plus en plus ouvertement, et même lorsque les musiciens confirmés sont concernés. « J’entends souvent les musiciens dire qu’ils croient que leur trac vient du fait qu’ils sont moins bons que leurs collègues », raconte Marie-Christine Mathieu, kinésithérapeute et formatrice, qui anime le blog L’intelligence du mouvement. Elle côtoie quotidiennement les musiciens d’orchestre pour qui le trac est une vraie souffrance. « Pour l’affronter, il faut déjà le comprendre et l’assumer. L’étape suivante sera d’apprendre à vivre avec. »

Le trac, qu’est-ce que c’est ?

« Le trac est un phénomène éminemment naturel. C’est un mécanisme vieux comme le monde qui nous permet de réagir face à une situation que notre cerveau interprète comme un danger. » [Virginie Aster ] (http://www.aster-musique.com/professeur-musique/atelier-du-trac/atelier-vaincre-le-trac-du-musicien.htm) est compositrice, pédagogue et formatrice et organise des ateliers de gestion de stress, notamment au CNSM et à la Philharmonie de Paris.

« Notre cerveau perçoit la présence d’un public comme une agression, et se met en mode défensif. Et c’est justement cette interprétation erronée de la situation qui déclenche le réflexe de survie. Nous avons alors deux possibilités : s’enfuir ou lutter. » S’enfuir ? Lutter ? A défaut de pouvoir prendre la poudre de l’escampette, vous luttez. Et c’est pire. « Il est inutile d’essayer de vaincre le trac, » explique Marie-Christine Mathieu. « La volonté n’y peut rien. Plus on essaye de contrôler les tremblements, par exemple, plus nos muscles se contractent et plus on accentue les tensions corporelles. D’ailleurs, ce sont elles qui sont souvent en partie responsables du trac chez les musiciens. Une mauvaise posture ou une gestuelle inadaptée provoquent des tensions musculaires. Le cerveau sait qu’il y a un problème, et l’interprète en conséquence. Donc une partie du travail sur le trac sera forcément un travail sur le corps. »

Mais les origines du trac sont très complexes et varient d’une personne à l’autre. Les facteurs psychologiques – les croyances, les objectifs personnels, l’image de soi, ainsi que l’histoire personnelle, le rapport à l’instrument – interviennent dans des situations anxiogènes. D’où la nécessité de les prendre en compte dans leur globalité pour parvenir à identifier l’origine de son propre trac.

Peut-on l’éradiquer ?

La réponse est non. Il faut savoir que face au trac, chaque personne est différente. Il peut accompagner toute la vie d’un musicien, ou surgir à un moment donné de la carrière. Il est aussi fréquent chez les musiciens solistes qu’en orchestre. Il n’est conditionné ni par l’âge, ni par l’expérience. Nombre de musiciens célèbres en ont souffert à travers l’histoire, comme Frédéric Chopin qui fuyait les concerts dans des grandes salles, préférant se produire face à un public plus familier dans les salons parisiens. En trois décennies il n’a donné qu’une quarantaine de concerts. Vladimir Horowitz a interrompu sa carrière de pianiste à plusieurs reprises à cause de l’angoisse que produisait en lui l’idée de jouer en public. Et il n’est pas réservé aux musiciens classiques : Ella Fitzgerald, Paul McCartney ou Barbara Streisand ont témoigné en avoir souffert.

Joseph Descamps, psychologue et violoncelliste amateur, a souvent travaillé avec les musiciens d’orchestre. Il pratique l’approche psychanalytique.
« Ce qui revient souvent, c’est la peur du jugement de ses pairs, et pas forcément de ceux qu’on admire. Ou bien des fois le trac cache une frustration de ne pas avoir été au bout de ses rêves en devenant musicien d’orchestre et non pas soliste concertiste ». Mais le trac reste un sujet sensible, et difficilement avouable chez les musiciens confirmés. Selon une enquête américaine récente, seulement 2% de musiciens professionnels disent ne jamais éprouver le trac. Selon leur propre aveu, ils le gèrent majoritairement en faisant recours aux bêta-bloquants (72%) . D’ailleurs, les addictions parmi les musiciens sont un problème de santé publique dans de nombreux pays. « Quand on a le trac même au bout de vingt ans de carrière, on a souvent honte d’en parler. Certains musiciens ne retournent plus me voir lorsque je leur explique qu’à la question ‘Je ne sais pas pourquoi je ressens cela’ nous pourrons peut-être répondre seulement au bout d’un certain temps, et que la réponse ne sera peut-être pas celle qu’ils attendent à avoir. Pour d’autres, faire un travail d’analyse provoque un changement en profondeur. »

Il est d’autant plus important d’en parler ouvertement dès le plus jeune âge, même si les enfants n’ont que rarement le trac lorsqu’ils commencent à jouer. « J’ai souvent entendu les professeurs de musique dire qu’ils préfèrent ne pas en parler à leurs élèves qui n’en souffrent pas par peur de leur mettre la puce à l’oreille. C’est complètement faux, le trac peut les rattraper plus tard, et ils ne seront pas prêts pour l’affronter », explique Marie-Christine Mathieu.

Comment l’affronter ?

Il faut commencer par déculpabiliser. Ce n’est pas parce que l’on a le trac qu’on est moins bon ou, à l’inverse, ce n’est pas parce que l’on est un incapable qu’on a le trac. Et en plus, à peu près tous ceux qui nous précèdent, nous suivent ou sont à nos côtés sur scène, sont dans un état semblable. Une fois ce fait intégré, il serait mieux de changer d’attitude – affronter, non, apprivoiser, oui.

« C’est un travail de longue haleine, » explique Marie-Christine Mathieu. « La première chose à faire est d’essayer de comprendre la nature de ses peurs et analyser leurs manifestations pour adapter sa méthode d’agir. Pourquoi les tremblements, par exemple ? C’est une manière d’évacuer un trop plein d’énergie. Pour certaines personnes le remède sera de faire des exercices de relaxation, pour d’autres de faire quatre tours en courant dans le jardin. Il n’y a pas de recette unique. Mais auparavant, il faudra se donner les moyens de basculer de la peur dans la confiance. Mettre en avant les points positifs, les siens ou ceux de l’élève, si l’on est professeur de musique. Et cela aussi bien pendant toute la période de préparation d’une situation anxiogène, que le jour même, en coulisses et sur scène. »

Virginie Aster souligne que la gestion du trac devrait être intégrée dans toute formation de musicien dès le plus jeune âge. « Dans la formation des comédiens, les élèves sont formés à aborder la scène pourquoi pas les musiciens, alors que nous partageons le même objectif ? » Virginie Aster estime qu’il faut repenser la pédagogie de la musique, afin que les notions de compétitivité et la peur de rater soient complètement bannies, et que l’accent soit porté uniquement sur l’épanouissement personnel de l’élève par la musique. Ce changement d’optique a des effets radicaux sur la rapport à la scène :

« Lorsque je travaille avec les musiciens, je leur pose une question simple : que veux-tu dire, exprimer avec la musique que tu joues ? Le fait de donner du sens à chaque passage permet de fixer notre attention sur l’interprétation, plutôt que sur la performance. La technique devient secondaire, ou plus précisément, elle s’acquiert au fur et à mesure du travail sur l’interprétation, l’élève se concentre sur ce qu’il veut dire par sa musique. Et cela occupe son esprit même en situation de prestation publique. »

Quelle méthode choisir ? La psychanalyse, la sophrologie, la relaxation, le yoga, la pensée positive, la technique Alexander, la restructuration cognitive…élève, parent de musicien ou professeur, commencez par vous accepter tel que vous êtes, votre trac y compris. Il peut être votre allié le plus fidèle.

Comme preuve, Virginie Aster cite la réponse de Sarah Bernard, qui souffrait d’un trac terrible, à un jeune acteur qui déclarait ne jamais en éprouver : « Rassurez-vous, jeune homme, cela vient avec le talent ».

Source : francemusique.com